La famille compte quelques négociants et banquiers durant les XVIIe et XVIIIe siècle, mais ceux-ci ne connaissent que rarement le succès espéré. Les opérations financières d’André (1684-1719) –second fils du pasteur Bénédict Pictet– lors de la guerre de succession d’Espagne, le mèneront ainsi à la faillite. Son frère cadet Ami (1702-1752), installé à Paris, développe des activités typiques d’un «capitaliste» du XVIIIe : assurances de navires, traites et remises, ainsi qu’investissements dans de grosses affaires maritimes et de commerce de grains, ce qui ne lui apporte pourtant pas la fortune escomptée. Ces exemples permettent néanmoins de dresser un portrait caractéristique de l’homme d’affaires genevois de l’époque, prêt à s’expatrier, dont les activités oscillent entre négoce et opérations financières, et dont les réseaux sont alors très liés à la banque protestante et aux affaires françaises.
Au début du XIXe siècle, après une grande débâcle provoquée par les conséquences financières de la Révolution française, l’industrie bancaire genevoise se réorganise et de nouveaux établissements sont créés. Ces entreprises se spécialisent dans les opérations de placement de capitaux (achat, vente et garde de titres pour leur clientèle), ainsi que dans le conseil aux personnes qui cherchent un emploi à leur fortune. Jean-François-Louis Pictet (1790-1858) est le premier Pictet qui se lance dans le métier que l’on appelle dès lors « banquier privé ». Jeune associé de la maison Calandrini et Cie, il est entraîné dans la faillite retentissante de cette dernière. Totalement ruiné, il fonde alors l’établissement Louis Pictet et Cie dont le succès lui permettra de rembourser ses créanciers et de rétablir ses finances. Le «Journal de Genève» le décrit comme un banquier expérimenté et prudent « ennemi des placements aventureux ». Le traumatisme de la faillite Calandrini perdurera chez son fils qui organisera la fermeture de la banque Louis Pictet en 1884.
La première réussite bancaire durable des Pictet est entamée en 1841 par Édouard Pictet-Prevost (1813-1878), qui prend la tête de l’établissement originellement fondé sous le nom De Candolle, Mallet & Cie en 1805 et spécialisé dans la gestion de fortune. Dès lors, le nom de Pictet figurera dans la raison sociale de l’entreprise. La formation d’Edouard est typique du banquier genevois du XIXe siècle, orientée vers la pratique et favorisant les expériences sur une place financière étrangère. Les successeurs d’Edouard, principalement Ernest (1829-1909) et son fils Guillaume (1860-1926) marqueront, en tant que chefs de la société (respectivement associés en 1856 et en 1889), l’institution de leur empreinte durant la deuxième partie du siècle. Ils l’ouvrent progressivement à l’international grâce à un réseau de relations d’affaires. Au moment où, en Suisse, les grandes banques et les établissements de crédit prennent une place de plus en plus importante dans le commerce et dans les échanges, ce sont les banques privées qui continuent à donner à la place financière genevoise un caractère international. A Genève, plus qu’ailleurs en Suisse, elles jouissent au XIXe siècle d’une solide réputation en matière d’expertise financière et bénéficient du rôle naissant de la Confédération comme refuge des capitaux internationaux.
Si les crises des XXe et XXIe siècles – guerres mondiales, grande dépression, subprimes, et fin du secret bancaire – n’entameront pas le succès de la banque Pictet & Cie, la gestion familiale de l’institution s’est peu à peu estompée pour laisser place à une société internationale aux activités financières diversifiées qui porte aujourd’hui le nom de groupe Pictet. Des valeurs familiales imprègnent encore l’entreprise, dont le collège des associés compte sur la présence d’au moins un Pictet depuis 1841. A ce jour, neuf générations de la famille ont participé au développement de l’institution.