Longtemps confinées à la sphère privée, les femmes ont souvent été négligées par les livres d’histoire qui s’intéressent avant tout à la vie publique. Depuis quelques années, en réponse à une demande de la société de combler ce manque de visibilité, la recherche historique met cependant en lumière le rôle et la vie des femmes. La famille Pictet compte de brillantes personnalités féminines qui ont marqué l’histoire de Genève.
Albert Gallatin (1761-1849) est probablement le plus américain des Genevois. Emigré au Nouveau Monde à l’âge de 18 ans, il réalise une brillante carrière politique, diplomatique et bancaire qui le mènera jusqu’au poste de Secrétaire du Trésor du président Thomas Jefferson. Retraité, il deviendra l’un des fondateurs de l’Université de New York.
Les premières années de la vie de Gallatin sont pourtant difficiles. Orphelin très jeune, il est pris en charge et élevé par Catherine Pictet (1726-1795), fille du conseiller et secrétaire d’Etat Isaac Pictet (1693-1769), et amie intime de la mère d’Albert. Profondément attachée au jeune talent, Catherine désespère lorsqu’il quitte Genève pour l’Amérique, un choix qu’elle ne comprendra jamais d’autant plus qu’elle décèdera avant qu’il ne connaisse ses premiers succès.
Dans une émouvante lettre de 1844 adressée à la nièce de Catherine, Albert écrit: «Vous n’ignorez point les grandes obligations que j’ai à Catherine Pictet tante de votre père et qui nous a élevé tous les deux : mais il est impossible que vous en connaissiez toute l’étendue et je ne puis pas l’exprimer. Intime amie de ma mère, elle lui succéda lorsque je devins orphelin : elle me recueillit, m’adopta, m’éleva. C’est à elle que je dois le peu que je vaux et les succès de la carrière dans la quelle j’ai été jeté.»
C’est en se mariant à Charles Pictet en 1786, qu’Adélaïde Sara de Rochemont (1767-1830) entre dans la famille. Selon l’usage genevois de l’époque, Charles joindra dès lors le nom de sa femme au sien et se fera appeler «Pictet de Rochemont». La jeune femme s’engage dès lors dans la gestion de la ferme-modèle que le couple Pictet de Rochemont a établie à Lancy, et où les dernières innovations en matière d’agriculture sont appliquées. Lors des multiples missions diplomatiques de son mari, c’est elle qui dirige l’ensemble de leur domaine. L’élevage de moutons mérinos permet au domaine de produire une laine de grande qualité avec pour ambition le commerce de châles de luxe dont un exemplaire, tissé par Sara elle-même, remporte une médaille lors d’une exposition industrielle à Paris.
Une grande passion anime de plus les Pictet de Rochemont : la pédagogie. Dans leur village de Lancy, le couple crée une école destinée aux enfants de la région dont la majorité vit modestement et dans la foi catholique. Sara, ainsi que ses filles Amélie et Anna, les accueillent et leur apprennent à lire, à écrire et à compter.
Un parc Adelaïde Sara Pictet de Rochemont a récemment été inauguré dans le quartier de Pont-Rouge pour lui rendre hommage, et un roman publié en 2022 raconte la vie de la jeune femme à Lancy.
L’action de Hélène Gautier-Pictet (1888-1973) a récemment été mise en lumière par une exposition et par un nom (temporaire) de rue à Genève.
A la tête d’une association faîtière qu’elle fonde en 1937, le Centre de Liaison des Associations Féminines de Genève (CLAFG), elle organise en 1952 une consultation auprès de toute la population genevoise (hommes et femmes) relative à la reconnaissance du droit de vote des femmes. Si la consultation est un succès, ce droit ne sera finalement reconnu en votation cantonale officielle qu’en 1960.
En 1941, Hélène rejoint le groupe suisse des Quakers dans leur combat pour le pacifisme, cause qu’elle défendra toute sa vie.
Charlotte Pictet (1734-1766) entre dans l’histoire grâce à Voltaire et à Stendhal. Elle habite en effet la belle propriété que son père, le professeur de droit à l’Académie Pierre Pictet-Cramer, fait construire à proximité des «Délices», domaine dans lequel réside le célèbre philosophe français. Troublé par ce voisinage et afin de préserver sa tranquillité, Voltaire fait planter entre les propriétés des marronniers qu’il baptise «cache-Pictet». L’expression connait une popularité inattendue grâce à Stendhal, qui la cite dans ses «Mémoires d’un touriste» publiées en 1854.
Malgré ces petits soucis de voisinage, Voltaire entretient de bons rapports avec les Pictet et se lie d’amitié avec la jeune Charlotte qu’il surnomme volontiers «Lolotte». En offrant un bonnet au philosophe qui la remercie dans une lettre flatteuse, Charlotte provoquera même une furieuse crise de jalousie auprès de la maîtresse de Voltaire. Charlotte épouse en 1757 le vaudois Samuel Constant, futur oncle de l’écrivain et homme politique Benjamin Constant. Ayant suivi de près les préparatifs, Voltaire écrira au sujet de ce mariage : «Nous marions l’un des fils du général Constant avec la belle demoiselle Pictet et nous unissons Lausanne à Genève».
Si la fibre artistique a été historiquement peu présente dans la famille, le succès de la comédienne Isabelle Villars (1920-1996) fait figure de quasi-exception au XXème siècle. De son vrai nom Violette Pictet (son nom de scène provient du domaine de Villars, propriété familiale située au Petit-Saconnex et où elle passe une partie de son enfance), elle étudie le théâtre à Paris chez Louis Jouvet, puis commence une carrière dans le cinéma. De retour de Paris occupée, elle entre à la Comédie de Genève où elle joue les grands rôles du répertoire classique et contemporain jusqu’en 1959. Entre 1957 et 1986, elle écrira plus de 200 pièces policières pour la radio suisse. Elle est lauréate du Prix radio-télévision décerné par la Société Suisse des Auteurs (SSA) pour l’ensemble de son œuvre. Isabelle Villars a ouvert la voie pour d’autres femmes de la famille qui entreprennent aujourd’hui des carrières artistiques.