Deux mouvements importants d’industrialisation marquent l’histoire de Genève : le premier au XVIIIe siècle, avec l’essor du secteur horloger accompagné de l’orfèvrerie et de la bijouterie, ainsi que celui des fameuses indiennes ; le deuxième au XIXe siècle, avec le développement du génie mécanique caractérisé par les industries de réseau (eau, énergie, transport) et les machines (instruments de précision, turbines hydrauliques, automobiles).
Lors de ce deuxième âge d’or de l’industrie genevoise, deux membres de la famille Pictet, Raoul et Lucien, joueront un rôle capital.
Raoul Pictet (1846-1929) est l’une des figures les plus brillantes de la famille au XIXe siècle. Durant ses études de sciences à Genève, puis à Paris, il prend conscience de l’influence considérable des basses températures sur la constitution des gaz. Pressentant l’importance que prendra la production artificielle du froid, il profite d’un séjour au Caire pour développer l’industrialisation de machines.
Raoul est invité par le vice-roi Ismaïl Pacha en Egypte, où il établit une fabrique de glace et ouvre un laboratoire de physique expérimentale. Il est nommé professeur de physique et de mécanique à l’Université du Caire, et il est chargé de réorganiser tout l’enseignement scientifique du pays.
En parallèle à l’enseignement, il se lance dans de multiples entreprises dont la fabrique de glace et l’introduction de l’électricité en Egypte, ainsi que la construction des barrages du Nil (pour laquelle il est nommé directeur technique).
De retour à Genève, il réalise en 1877 la liquéfaction de l’oxygène, expérience jugée irréalisable jusque-là, et devient alors une vraie «vedette» de la science grâce au succès de ses pavillons à l’Exposition universelle de Paris en 1878 et à l’Exposition nationale suisse de 1896 à Genève. Le pavillon Raoul Pictet, filmé par les Frères Lumières, est divisé en trois parties, dont une salle avec ses machines à glace, et un bar qui vend différents sorbets produits par les machines.
Il crée en 1875 avec son ami l’ingénieur Théodore Turrettini et le banquier Louis Roget, son beau-père, une entreprise qui va rapidement se faire connaître et vendre de nombreuses machines, parmi lesquelles celles qui équipent les premières patinoires artificielles à Londres et Manchester.
Malheureusement moins doué en affaires, Raoul doit céder les brevets de son entreprise, la « Compagnie industrielle des procédés Raoul Pictet », à la suite de jugements juridiques en sa défaveur. La société prendra plus tard le nom de «Froid Pictet» et utilisera le slogan publicitaire : «Le froid Pictet, le froid parfait».
Une des grandes «aventures» industrielles de la famille est sans conteste la production des voitures Pic-Pic que l’on doit à Lucien Pictet (1864-1928). A la tête de l’entreprise Piccard, Pictet & Cie, spécialisée dans les turbines hydrauliques, Lucien convainc son associé Paul Piccard de se lancer dans le marché automobile qui en est à ses balbutiements. Entre 1905 et 1920, quelque 3000 Pic-Pic seront produites dans l’usine des Charmilles et rencontreront un beau succès.
A Rio de Janeiro, vingt-deux Pic-Pic sont employées comme taxis. Durant l’été 1912, le Département fédéral militaire choisit une Pic-Pic pour la visite de l’Empereur Guillaume II en Suisse. Pendant les essais du Grand Prix de France de 1914, les Pic-Pic font honneur à leur slogan publicitaire «incomparables en côte, invincibles en course» et établissent un record de vitesse en atteignant les 170 km/h !
Au volant d’une Pic-Pic, Lucien est, en 1906, le premier à conduire une automobile au sommet du Salève par Monnetier, pour revenir par Cruseilles, après un arrêt à la ferme des Crêts, propriété de sa mère, Gabrielle Pictet-Cayla.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’entreprise produit des munitions pour les armées anglaises et françaises, et emploie pas moins de 7’500 personnes. Les conditions économiques d’après-guerre provoqueront cependant le rapide déclin de l’entreprise qui fait faillite en 1920. Marqué par ce cruel échec, Lucien partira pour la France où il meurt quelques années plus tard.
Huit Pic-Pic existent encore aujourd’hui (dont deux appartiennent à la famille), témoin du passé glorieux de l’industrie automobile genevoise.