A partir du XIXe siècle, «l’esprit de Genève» s’incarne dans la bourgeoisie genevoise entre autres par la philanthropie. Vécue comme un véritable devoir moral, l’action philanthropique constitue une part importante de la pratique sociale de la bourgeoisie genevoise. L’initiative privée possède alors toute son importance à une époque où le rôle des pouvoirs publics est bien moindre qu’aujourd’hui. Ces actions recouvrent de nombreux domaines : santé, culture, éducation, etc.
La famille Pictet compte ainsi de nombreuses personnalités engagées au XIXe siècle dans des actions philanthropiques.
Amédée-Pierre-Jules Pictet de Sergy (1795-1888), historien et publiciste, s’engage au sein de la Société suisse d’utilité publique. Cette institution a été créée en 1810 pour combattre la pauvreté par la formation, et promouvoir en parallèle savoir, moralité et morale, dans un périmètre d’action assez vaste.
Amédée-Pierre-Jules, apprenant que la prairie du Grütli allait servir pour la construction d’un hôtel, lève des fonds au nom de la Société et négocie avec le paysan uranais, propriétaire du pré, son achat par souscription publique. C’est l’époque où la Suisse moderne se constitue et cherche des mythes fondateurs destinés à forger une identité nationale. Amédée-Pierre-Jules sauve l’un des lieux les plus symboliques de la Confédération, soulignant ainsi l’attachement patriotique de la famille à la Suisse.
Sensible à la question sociale dès son plus jeune âge, Edmond Pictet (1835-1901), alors collégien, fonde une «Caisse des pauvres» qu’alimentent des cotisations de 10 centimes. En 1890, il participe à la création de l’Union suisse des coopératives de consommation, ancêtre de l’institution qui deviendra en 1969 la Coop.
Pionnier également sur le sujet de la défense des animaux, il rédige une étude sur la protection des animaux en Angleterre qui marque les esprits. Puritain et anglophile, il est enfin un ardent défenseur de l’Armée du Salut qui a fait son apparition à Genève en 1882 et dont le style quelque peu agressif pour l’époque provoque de vives réactions.
Au XXe siècle, l’Etat étend ses prérogatives dans les domaines sociaux et culturels, et reprend à son compte une grande partie des missions autrefois dévolues à la philanthropie.
«L’esprit de Genève» continuera cependant à s’incarner dans nombre de Pictet.
Un des plus éminents d’entre eux est Jean Pictet (1914-2002).
Né au début de la Première Guerre mondiale, il se passionne pour le droit humanitaire. Il entre au CICR comme juriste en 1937, et devient proche collaborateur du président de l’institution durant la Seconde Guerre mondiale. Autrefois adepte de Rousseau, il perd sa foi en la bonté intrinsèque de l’homme: « Je n’en dormais plus, rien de semblable ne s’était produit avant ça. Je n’arrivais pas à imaginer qu’un pays civilisé d’Europe occidentale, la patrie de Beethoven et Goethe, soit capable de telles horreurs ».
Nommé directeur du CICR en 1946, il est un des principaux architectes des quatre conventions de Genève de 1949 (et de leurs deux protocoles additionnels de 1977), destinées à protéger les civils et soldats prisonniers ou blessés en temps de guerre. Puis il rédige la charte fondamentale du CICR, avec ses sept principes fondamentaux (humanité, impartialité, neutralité, indépendance, service volontaire, unité, universalité). En parallèle, il est professeur de droit international humanitaire à l’Université de Genève.
Il sera plusieurs fois distingué par le CICR et par la Ville de Genève, et un concours de droit humanitaire porte aujourd’hui son nom.